La cérémonie du sacre des rois de France, de Pépin le Bref à Charles X, a subi diverses modifications, bouleversements, controverses et miracles tout au long de son histoire. Bien qu’étant un événement d’une importance cruciale pour chaque roi, les sources relatant les premiers sacres sont peu nombreuses.
Le premier ordo est celui d’Hincmar, pour le sacre de Charles « le Chauve », et celui-ci a été plusieurs fois modifié par Hincmar lui-même pour s’adapter aux circonstances, subissant des influences multiples telles que les manuscrits de Gellone, d’Angoulême ou de Léofric. Hincmar y a ajouté sa propre empreinte dans des formules qui sont restées quasi-inchangées jusqu’au sacre de Charles X.
Plusieurs ordo capétiens ont influencé la cérémonie, notamment ceux d’Erdmann, Ratold, Cologne, etc.
L’ordo de Saint-Louis est une compilation de plusieurs ordo précédents, mais il présente un nombre d’anomalies qui laisse penser que les fiches ont été mal placées. Un autre ordo a donc été réalisé pour le sacre.
L’ordo de Charles V, commandé et supervisé par le roi lui-même, montre l’importance politique et sacrée du roi en subordonnant les Grands. Les auteurs se sont inspirés de la trame du dernier ordo capétien. Il s’agit d’une œuvre politique majeure, produite dans un contexte difficile de l’Histoire de France, marqué par la défaite de Poitiers, la paix de Brétigny et la contestation du pouvoir par Édouard III et Charles « le Mauvais ».
- L’importance de l’évènement
L’importance et la rareté de cette cérémonie attiraient les foules. Des centaines d’élus étaient entassés dans le chœur et ses tribunes, et plusieurs milliers étaient présents dans le cœur, sans compter la foule qui grouillait sur la place, où le moindre coin était occupé. Quelques intrépides se juchaient même sur les toits dans l’espoir d’apercevoir une infime partie de l’événement.
La population moyenne de Reims passait de douze mille à vingt-huit mille entre le XIIIe et le XVIIIe siècle, et lors des sacres, elle doublait voire triplait. Rien que pour le sacre de Louis XV, on aurait dénombré plus de cent mille personnes.
Cavalcade de Louis XV le lendemain de son sacre, huile sur toile, Pierre-Denis Martin, 1724, Musée national du château de Versailles.
Sans compter le cortège qui suivait le roi et dépassait facilement les deux mille personnes, cela aux frais de l’archevêque en vertu du droit de gîte. Les revenus de l’archevêque s’élevaient en 1223 à sept mille livres (sans compter les dépenses habituelles de la curie) et en 1315, les frais étaient de plus de huit mille livres. Entre 1315 et 1328, quatre sacres eurent lieu et cela éleva les frais à quarante-deux mille livres. Pour les sacres de Louis XVI et de Charles X, ceux-ci se sont élevés respectivement à sept et huit millions de livres, pour des revenus de six cents millions et un milliard de livres. Les comptes montrent que la majorité des frais étaient dans les cuisines ; rien que pour le sacre de Philippe VI, le vin a coulé à flot pour soixante mille livres.
- La Joyeuse Entrée
Le sacre avait lieu un dimanche ou un jour de fête solennelle, sauf à de rares exceptions. La joyeuse entrée se faisait la veille, accueillie par les députations des notables aux portes de la ville. Le cortège rejoignait la cathédrale où attendaient l’archevêque et les chanoines ; le roi assistait éventuellement aux vêpres. À la tombée de la nuit, il revenait à la cathédrale pour une vigile héritée de la chevalerie, puis regagnait sa chambre.
- Le Réveil
Au lever du jour, les évêques de Laon et de Beauvais venaient quérir le roi. Le second frappait à la porte, « Que voulez-vous ? » répondait le Grand Chambellan, « Louis XIII, fils de Henri le Grand. », « Il dort. », l’évêque réitérait à nouveau, même réponse, la troisième fois, il disait « Louis XIII, que Dieu nous a donné pour roi. » et la porte s’ouvrait.
Le lever du Roy de l’Album du sacre de Louis XV, gravure sur cuivre, plusieurs artistes, 1731.
Le cortège quitte le palais de Tau pour entrer dans la cathédrale au chant des psaumes, puis des répons et des antiennes sont entonnés. Le roi est assis en attendant que l’archevêque vienne avec la Sainte Ampoule.
- L’arrivée de la Sainte Ampoule
Les moines de Saint-Rémi viennent en procession, l’abbé sur un cheval sous un dais, est escorté par les « otages », quatre seigneurs désignés par le roi pour apporter le saint-chrême et par les barons qui sont les seigneurs dépendant de l’abbaye. Nous devons ajouter les habitants du Chêne-populeux qui ont le privilège d’accompagner la Sainte Ampoule.
L’arrivée de la Sainte Ampoule de l’Album du sacre de Louis XV, gravure sur cuivre, Pierre Dulin, 1731.
Une fois devant la cathédrale, l’abbé remet à l’archevêque la Sainte Ampoule, avec promesse de la rendre ; puis l’archevêque l’apporte à l’autel.
- Le serment et le rituel de chevalerie
Le roi se lève avec respect devant l’archevêque, puis celui-ci se tourne vers lui et fait prêter serment au roi. Le roi répond qu’il fait serment de conserver et défendre les privilèges de l’Église, puis ajoute qu’il s’engage à conserver la paix, à combattre l’iniquité, à rendre la justice, à faire miséricorde et à exterminer les hérétiques. Ce dernier point concerne les hérétiques cathares mais fut élargi dans les esprits aux huguenots pendant les Guerres de Religion. Henri IV ajouta le maintien des Ordres du Roi, Louis XV celui de Saint-Louis et Louis XVI l’observation des édits contre les duels.
Aussitôt fait, le Te Deum retentit sous les voûtes de la cathédrale, et les évêques de Laon et de Beauvais conduisent le roi devant l’autel, où il se prosterne jusqu’à la fin du Te Deum. La couronne, l’épée, les éperons, le sceptre et la verge de justice sont disposés sur l’autel, de même que les chausses, la tunique, le surcot et la chape, disposés debout près de l’autel.
Le roi se lève, dépose ses vêtements à l’exception de sa tunique et de sa chemise ; puis l’archevêque entonne l’oraison. Aussitôt dit, le grand chambellan fait enfiler au roi les chausses, puis les éperons sont attachés par le duc de Bourgogne et enlevés immédiatement. L’épée est bénie, puis ceinte au roi et retirée du fourreau, qui est posé sur l’autel ; elle est ensuite remise entre les mains du roi, qui la maintient pointe en haut jusqu’à la fin de l’antienne, avant de la remettre au sénéchal de France.
- L’onction et la remise des insignes royaux
L’archevêque prépare l’onction au son du répons entonné par le chantre ; le chrême est déposé sur l’autel, dans une patène, puis l’archevêque ouvre la Sainte Ampoule et en prélève une infime quantité avec une aiguille d’or, qu’il mélange soigneusement au chrême.
Le roi, prosterné devant le faldistoire, sa chemise dégrafée, et l’archevêque, également prosterné, entament la litanie des saints.
Ensuite, l’archevêque se relève, se tourne vers le roi et récite les versets de bénédiction, suivis de plusieurs oraisons.
Enfin, l’archevêque oint le roi sur le front, sur la poitrine, entre et sur les épaules, ainsi qu’à la jointure des bras ; puis de nouvelles oraisons sont prononcées et la chemise est ragrafée.
Le grand chambellan revêt alors le roi de la tunique, puis du surcot ; ensuite, l’archevêque lui oint les mains et les gantes.
L’anneau bénit est mis au doigt du roi, puis lui sont remis la verge et le sceptre, et à chacun est entonnée une oraison. Une fois cela fait, la couronne est bénie et chaque pair est appelé par son nom. Ensuite, l’archevêque porte la couronne et la pose sur la tête du roi, qui est soutenue par tous les pairs au son d’une oraison, suivi par plusieurs bénédictions. L’archevêque conduit le roi par la main, suivi des pairs, jusqu’au trône placé au-dessus du jubé, puis le Te Deum laudamus commence. Les prières achevées, le roi reçoit le baiser de paix et est prononcé un « Vive le roi éternellement ! » repris par l’assemblée.
- La Grand’messe
Une fois la cérémonie terminée, le roi ôte sa couronne à la lecture de l’Évangile ; après l’offertoire, le roi est conduit à l’autel et offre un pain, du vin et treize besants, remplacés plus tard par un pain d’or et un pain d’argent. La messe finie, il est conduit à nouveau au trône et reçoit un baiser de paix ; puis il est dépouillé de ses insignes vestimentaires, reçoit d’autres habits, ainsi qu’une couronne plus petite ; et la chemise est brûlée en raison de la sainte onction (une seule nous est parvenue, celle de Louis XV qu’il offrit au roi Jean V de Portugal et qui est gardée à Mafra). Le dernier évènement est la bénédiction de l’oriflamme.
- Les festivités et derniers évènements
Pour clore cette cérémonie de plus de cinq heures, un grand festin se tient dans la Grande Salle du palais de Tau ; la première mention du festin se trouve dans l’ordo de Fulrad. Les comptes du sacre de Philippe VI nous sont bien connus, car les bourgeois de la ville, échaudés par trois sacres successifs et soupçonnant les officiers royaux de détournement et de gaspillage, prirent la décision d’assurer eux-mêmes les préparatifs. On y trouve :
- 47 muids et 1 septier de blé (environ 50 tonnes)
- 300 poinçons de vin, tant de Beaune et de Saint-Pourçain, que de pays (environ 60 000 litres)
- 243 saumons, 6 barils et 11 pièces d’esturgeon
- 4 poissons fauteis, 100 barbeaux et barets, 383 tanches, 162 poissons à fendre, 31 brochets lucqs, 500 brochets careaux, 201 brochets communs, 2 279 carpes, 3 551 anguilles, 50 perches, 4 000 écrevisses, 240 barèmes
- 2 000 fromages, 40 350 œufs, 492 pâtés d’anguille
- 82 bœufs, 78 porcs, 289 moutons, 85 veaux, 13 chevreaux, 345 butors et héronneaux, 182 oisons, 884 connins ou lapins, 10 700 poulets et poussins, 801 chapons, 28 lards et demi, 32 septiers de suin
- 1 600 pâtés de porc et 3 142 pâtés d’autres viandes
- 31 septiers de moutarde, 66 livres de riz battu, 409 livres d’amandes, 66 livres de sucre
- 15 000 oublies, 60 livres de cannelle, 50 livres de poivre, 2 livres de graines, 2 livres de poivre long, 4 livres de garingal, 4 livres de clous de girofle, 4 livres de pholion, 6 livres de safran, 4,50 livres d’épices, 2 livres de grains de paradis, 4 livres de macis, 2 livres de noix muguette, 3 livres de cilion
- 57 100 écuelles en bois, 8 000 pots de terre, 4 000 cruches.
Entrée du second service au festin royal donné après le sacre de Louis XV, Pierre-Denis Martin, date inconnue, Musée national du château de Versailles.
La disposition de la salle était la suivante : le roi, seul devant la cheminée, avait à sa droite la table des pairs ecclésiastiques et à sa gauche celle des pairs laïcs. Les femmes étaient installées dans une tribune, tandis que le roi pouvait honorer d’autres convives assis à des tables à part. Les autres convives étaient installés au milieu de la cour du palais.
Lors du sacre de Louis XV, les premiers et deuxièmes services étaient réservés aux notables rémois, tandis que le troisième, composé de pyramides de confitures sèches et de fruits susceptibles de s’ébouler, était destiné aux officiers du roi. Bien que la composition exacte du menu ne soit pas connue, à l’exception des vins, il est à noter que c’était la première fois que l’on servait du champagne lors de cette occasion.
La durée du festin pouvait être d’au moins trois heures, mais celui de Charles X fut réduit à une heure tout au plus. Des pièces commémoratives étaient lancées à la foule.
Pièce commémorative du sacre de Louis XIV, 1654.
Le lendemain, le roi partait pour Corbeny, pour le fameux toucher des écrouelles, dont la formule resta quasi-inchangée : « Je te touche, Dieu te guérit. »
Louis VI fut le premier à avoir touché les écrouelles et chacun de ses successeurs en fit autant, et pas uniquement au lendemain du sacre. Le nombre de scrofuleux n’avait cessé d’augmenter, passant de mille à trois mille malades.
Lors du sacre de Charles X, il en reçut cent vingt et un.
Ainsi fut le glorieux sacre des rois.
Référence : Dᴇᴍᴏᴜʏ, Philippe, Le Sacre du Roi, La Nuée Bleue / Édition du Quotidien, Strasbourg, 2016.