Les sacres des reines de France

Les reines eurent elles aussi droit à un sacre. Bien moins prestigieux & d’une importance moindre, il était dépourvu de presque toute sacralité.
Nous allons donc voir quels en étaient les grandes lignes, ainsi que les reines qui furent sacrées.

  • Le sacre au féminin

Le premier sacre comportant une onction est celui de Judith, fille de Charles « le Chauve », qui devait épouser Æthelwulf, roi des Saxons de l’Ouest . Ce fut Hincmar qui en fit le premier ordo et les références bibliques ne manquaient pas : les épouses des Patriarches (Sara, Rébecca, Rachel, &c.), Esther épouse d’Assuérus & Judith qui tua Holopherne. Une bénédiction met l’accent sur la fécondité de la terre : « gras terroir, abondance de froment & de vin » (un vœux pieux pour le Wessex), ainsi que sur elle : « Comble-là des bénédictions des mamelles & du sein. Que les bénédictions des pères d’autrefois la réconfortent, elle & sa descendance, comme tu l’as promis à ton serviteur & à sa race à jamais. »

L’ordo du sacre de la reine, s’est stabilisé plus tôt que celui du roi. Deux familles se distinguent : celle des quatre oraisons « hincmariennes » (ordo de Stavelot & pontifical de Reims) & celle qui comporte les formules pour l’onction & la remise des insignes (Erdmann & Ratold) ; dont l’ordo de Cologne-Arras en a fait la synthèse & qui sera amplifié par celui de Charles V.

  • Couronnement de Philippe VI & de Jeanne de Bourgogne des Grandes Chroniques de France, enluminure, auteur inconnu, xive, département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

La reine ne reçoit ni arme, ni ne prête serment, les onctions sont réduites à deux (à la tête & à la poitrine), ce qui n’est pas sans rapport à la fécondité, mais celles-ci, ne sont pas mélangé à un prélèvement de la Sainte Ampoule, réservé au seul roi. Elle reçoit un manteau, mais pas de tunique, ou de gant, elle porte néanmoins un anneau, une verge & un sceptre & la couronne est plus modeste.
Ensuite, elle communie sous les deux espèces, jusqu’au sacre d’Anne de Bretagne. Les contemporains voyant dans la communion au précieux sang un signe de sacralité royale, puisque seul les clercs communient ainsi ; en oubliant que les laïcs ont aussi communiés sous les deux espèces jusqu’au xiie siècle.

Seul vingt-neuf reines de France furent sacrées, quelques-unes conjointement avec leurs époux, d’autres après le sacre de celui-ci. La raison étant que la plupart des rois furent sacrés encore jeunes & célibataires & certains n’ont pas vu la nécessité de faire sacrer leurs épouses.

Cet écartement des femmes s’explique selon beaucoup, par la montée en épingle de la loi salique à la fin du Moyen-Âge & à la fascination pour le droit romain à la Renaissance, cela n’empêcha pas que de nombreuses reines furent régentes.

  • Le cérémonial féminin

Le cérémonial qui suit nous vient de l’ordo de Charles V.

  • Couronnement de Jeanne de Bourbon de l’Ordo de Charles V, enluminure, le maître du Livre du sacre de Charles V, xive.

La reine entre dans la cathédrale, conduite par deux évêques, elle s’agenouille & écoute les oraisons récitées par l’archevêque . Ensuite sa tunique est dégrafée, un linge est tendu par deux dames, pour garder la reine de tout regard indiscret, l’archevêque oint la reine sur la tête & sur la poitrine. Après l’archevêque lui remet l’anneau, le sceptre & la verge & enfin, la couronne est posée sur sa tête & tenue par barons & princes & ensuite elle communie sous les deux espèces.

  • Les Carolingiens

Judith, fille de Charles « le Chauve » & épouse d’Æthelwulf, roi des Saxons de l’Ouest, fut sacrée le jeudi 1e octobre, en la chapelle du palais de Verberie.

Ermentrude d’Orléans, épouse de Charles « le Chauve », fut sacrée le dimanche 25 août 866, en l’abbatiale Saint-Médard de Soissons par l’archevêque de Reims Hincmar. Il fut expressément demandé par le roi & l’ordo insista particulièrement sur la fertilité ; le roi se sépara d’elle l’année suivante.

Frérone, épouse de Charles III « le Simple », fut sacrée le samedi 18 avril 907, en l’abbatiale Saint-Rémi par l’archevêque de Reims Hervé.

Emma, épouse de Raoul & fille de Robert Ie, fut sacrée en septembre 923, en l’abbatiale ou la cathédrale de Reims.

Gerberge, épouse de Louis IV « d’Outre-Mer », fut sacrée en novembre 939, en l’abbatiale Saint-Rémi de Reims par l’archevêque Artaud.

  • Les Capétiens directs

Anne de Kiev, épouse d’Henri Ie, fut sacrée le dimanche 19 mai 1051, en la cathédrale de Reims par l’archevêque Gui de Soissons.

Adélaïde de Maurienne, épouse de Louis VI, fut sacrée aussitôt le mariage célébré le jeudi 25 ou le dimanche 28 mars 1115, en la cathédrale Sainte-Marie de Paris par l’archevêque de Sens Daimbert.

Constance de Castille, seconde épouse de Louis VII, fut sacrée entre la Noël 1153 & à la Pâques 1154, en la cathédrale Sainte-Marie de Paris par l’archevêque de Sens Hugues de Toucy. Ce choix confirma la protestation de l’archevêque de Reims revendiquant son privilège de sacrer rois & reines.

Adèle de Champagne, troisième épouse de Louis VII, fut sacrée le dimanche 13 novembre 1160, en la cathédrale Sainte-Marie de Paris, par l’archevêque Hugues de Toucy . Ce qui mit l’archevêque de Reims, encore une fois devant le fait accompli.

Isabelle de Hainaut, épouse de Philippe II, fut sacrée le jeudi 29 mai 1180, en l’abbatiale Saint-Denis, par l’archevêque de Sens Gui de Noyers. L’archevêque de Reims fut tenu à l’écart, étant en froid avec le roi ; la jeune reine portait une robe de drap d’or offerte par son époux. La foule était si nombreuse, qu’un officier dut repousser les importuns avec une perche, qui par maladresse heurta trois lampes sur le maître-autel, dont l’huile se répandit sur les souverains, ce qui n’était pas s’en réjouir les dionysiens jaloux des rémois.

Ingeburge de Danemark, seconde épouse de Philippe II, fut sacrée le dimanche 15 août 1193, en la cathédrale Sainte-Marie d’Amiens, par l’archevêque de Reims Guillaume de Champagne . Cette union fut un fiasco, le roi parut pâle, nerveux & frêle, il se sépara d’elle immédiatement après & l’envoya au monastère.

Blanche de Castille, épouse de Louis VIII, fut sacrée le dimanche 6 août 1223, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Guillaume de Joinville ; elle le fut conjointement avec son époux.

  • Couronnement de Louis VIII le Lion & Blanche de Castille des Grandes Chroniques de France, enluminure, Jean Fouquet, vers 1450, département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

Marguerite de Provence, épouse de Louis IX, fut sacrée le dimanche 28 mai 1234, en la cathédrale Saint-Étienne de Sens, par l’archevêque Gautier Cornut ; le lendemain de leur mariage.

Marie de Brabant, épouse de Philippe III, elle fut sacrée le lundi 24 juin 1275, en la Sainte-Chapelle de Paris, par l’archevêque de Reims Pierre Barbet. L’archevêque de Sens protesta, Paris se trouvant dans sa juridiction, mais il lui fut répondu que la Sainte-Chapelle était exempte de celle-ci & que seul le roi pouvait choisir qui il voulait.

Jeanne de Navarre, épouse de Philippe IV, fut sacrée le dimanche 6 janvier 1286, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Pierre Barbet ; elle le fut conjointement avec son époux.

Clémence de Hongrie, seconde épouse de Louis X, fut sacrée le dimanche 3 août 1315, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Robert de Courtenay ; elle le fut conjointement avec son époux.

Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe V, fut sacrée le dimanche 9 janvier 1317, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Robert de Courtenay ; elle le fut conjointement avec son époux. La cérémonie fut tendue aux vues des dissensions politiques concernant la succession & les absences du duc de Bourgogne & du frère du roi.

Marie de Luxembourg, seconde épouse de Charles IV, fut sacrée le dimanche 15 mai 1323, en la Sainte-Chapelle de Paris, par l’archevêque de Sens Guillaume de Melun. L’archevêque de Trêves Baudouin de Luxembourg, oncle de la reine, assistait à la cérémonie.

Jeanne d’Évreux, troisième épouse de Charles IV, fut sacrée le dimanche 11 mai 1326, en la Sainte-Chapelle de Paris, par l’archevêque de Reims Guillaume de Trie.

  • Les Valois & les Bourbons

Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI, fut sacrée le dimanche 29 mai 1328, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Guillaume de Trie ; elle le fut conjointement avec son époux.

Jeanne de Boulogne, épouse de Jean II, fut sacrée le dimanche 26 septembre 1350, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Jean de Vienne ; elle le fut conjointement avec son époux.

Jeanne de Bourbon, épouse de Charles V, fut sacrée le dimanche 19 mai 1364, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, par l’archevêque Jean de Craon ; il est le dernier sacre d’un couple.

Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, fut sacrée le lundi 23 août 1389, en la Sainte-Chapelle de Paris, par l’archevêque de Rouen Guillaume de Vienne.Le roi y assista en habit royal, avant de présider un festin dans la grande salle.

Anne de Bretagne, épouse de Charles VIII, fut sacrée le mercredi 8 février 1492, en l’abbatiale Saint-Denis, par le cardinal-archevêque de Bordeaux André d’Espinay. Vêtu d’une robe de damas blanc & les cheveux épars, elle fut ointe comme la coutume, sur la tête & la poitrine, elle reçut sceptre, main de justice & couronne, celle-ci trop lourde, fut soutenue par le duc d’Orléans –(futur Louis XII, son second époux). Elle ne communia que sous une espèce, le calice désormais refusé à la reine & le choix de Saint-Denis, soulignent la distinction entre les deux sacres.

  • Couronnement d’Anne de Bretagne à Saint-Denis en 1504, enluminure, le maître de la Chronique scandaleuse, vers 1504, Waddesdon Manor.

Marie d’Angleterre, seconde épouse de Louis XII, fut sacrée le dimanche 5 novembre 1514, en l’abbatiale de Saint-Denis, par le cardinal-évêque de Bayeux & Limoges & légat pontifical René de Prie. Lors de la cérémonie, la couronne fut soutenue par le premier prince du sang, François de Valois-Angoulême (futur François Ie).

Claude de France, épouse de François Ie, fut sacrée le dimanche 10 mai 1517, en l’abbatiale de Saint-Denis, par le cardinal-archevêque du Mans & légat pontifical Philippe de Luxembourg. Elle portait une cotte de drap d’argent enrichie de pierreries, un manteau de velours bleu fleurdelisé, fourré d’hermine, la couronne fut tenue par Charles de Valois, duc d’Alençon.

Éléonore d’Autriche, seconde épouse de François Ie, fut sacrée le dimanche 5 mars 1531, en l’abbatiale de Saint-Denis, par le cardinal-évêque de Laon & abbé de Saint-Denis Louis de Bourbon. Elle était vêtue d’un habit couvert de pierreries « pour plus d’un million d’or » ; pour une raison inconnue, la cérémonie fut repoussée à trois heure de l’après-midi.

Catherine de Médicis, épouse d’Henri II, fut sacrée le lundi 10 juin 1549, en l’abbatiale Saint-Denis, par le cardinal-archevêque de Sens & abbé de Saint-Denis Louis de Bourbon. Elle portait un habit royal d’une valeur inestimable ; à la fin de la messe, l’on fit largesse d’une bonne somme d’or & d’argent.

Élisabeth d’Autriche, épouse de Charles IX, fut sacrée le dimanche 25 mars 1571, en l’abbatiale Saint-Denis, par le cardinal-archevêque de Reims Charles de Lorraine. Le roi & la reine-mère étaient présent ; elle portait un manteau semé de lys d’or, qui faisait plus de 8m de long ; les ducs d’Anjou & d’Alençon ses beaux-frères portèrent la couronne.

Marie de Médicis, seconde épouse d’Henri IV, fut sacrée le jeudi 13 mai 1610, en l’abbatiale Saint-Denis, par le cardinal-archevêque de Rouen & légat du pape François de Joyeuse. Le roi partant en guerre, voulu assurer la légitimité de son épouse en la faisant sacrer ; la cérémonie fut somptueuse, elle était vêtue d’un manteau royal fleurdelisé fourré d’hermine, dont la queue mesurait neuf aunes (soit 12 m) & parée d’une couronne estimée à  deux cent mil écus. L’abbatiale fut décorée d’un amphithéâtre de vingt degré pour permettre aux seigneurs & dames d’assister à l’évènement ; la duchesse de Valois, Marguerite, première épouse d’Henri IV en était. À la fin de la cérémonie, comme à l’accoutumée, des pièces à l’effigie de la reine, furent jetées à la foule, au revers l’on pouvait y voir deux branches d’olivier symbolisant la « félicité du siècle » ; le lendemain, le roi était assassiné, ce fut le dernier sacre d’une reine de France.

  • Couronnement de Marie de Médicis à Saint-Denis du Cycle de Marie de Médicis, huile sur toile, Pierre Paul Rubens, vers 1622-1625, département des Peintures du Musée du Louvre.

  • Dᴇᴍᴏᴜʏ, Philippe, Le Sacre du Roi, La Nuée Bleue / Édition du Quotidien, Strasbourg, 2016.

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