Après les victoires d’Arques & d’Ivry, les ligueurs semblaient plus faibles, mais la situation du royaume n’allait pas en s’améliorant pour autant.
– Situation
Le pays est exsangue, plusieurs générations n’ont pas connu de période de paix, Tours servait peu ou prou de capitale, abritant le Parlement réfugié, un atelier des monnaies & d’imprimerie. La monarchie semblait être revenue à son état médiéval de monarchie à cheval, Henri IV parcourant le royaume & les commis de la Chancellerie sur ses talons pour lui faire signer, arrêts & édits.
Et le concile, la réunion des États & sa conversion son différé, ce qui n’est pas pour plaire aux Grands, tandis que les huguenots craignaient la conversion de leur chef & certains songeaient à changer de protecteur.
Mais les provinces se ralliaient une à une à Henri IV : Berry, Bourbonnais, Marche, Limousin, Dauphiné & leurs parlements avec.
D’autres par contre, semblaient faire sécession : le Lyonnais dirigé par Charles-Emmanuel de SAVOIE-NEMOURS, demi-frère de MAYENNE avec qui il est brouillé ; la Bretagne se ralliant derrière le duc de Mercœur non inféodé à MAYENNE ; l’Angoumois, dont le duc d’Épernon levait sans état d’âme des impôts ; la ville de Saint-Malo ne voulant choisir entre les ligueurs & un roi huguenot, se proclame république libre & prend pour devise « Ni français, ni breton, malouins suis. » & la ville de La Rochelle fière de son particularisme, se comporte comme une cité-état.
Portrait du pape Sixte V, peinture à l’huile, auteur inconnu, xviie siècle, cathédrale Sainte-Cécile d’Albi.
Henri IV a un autre souci, lever l’excommunication, il envoie donc le duc de Piney-Luxembourg auprès du pape Sixte Quint « Témoignez à Sa Sainteté, sur la parole royale, qu’elle verra par des effets certains que je peux vivre & mourir en fils aîné de la Sainte Église catholique romaine. »
Cela ne déplut pas au souverain pontife, qui craignait la mainmise de Philippe II d’Espagne sur la Ligue & de sa volonté hégémonique sur la chrétienté & voyait dans le retour de la Fille Aîné de l’Église un contrepoids ; mais le pape y mettait une condition, la libération du cardinal de BOURBON, un problème pour le roi, qui ne voulait pas voir le cardinal devenir un étendard pour les ligueurs, le pape pourtant, ne désespérait pas de convaincre son interlocuteur & lui envoya le cardinal Enrico CAETANI à titre de légat, celui-ci, ne pouvant se rendre à Tours auprès d’un roi relaps, il arriva à Paris le 20 janvier 1590.
Du côté des ligueurs, la situation semblait sous pression, le duc de Mayenne honteusement battu à Ivry, dû se justifier & ajouta son appréhension à Philippe II : « Ce qui me met le plus en peine, Sire, est la ville de Paris, contre laquelle notre ennemi va dresser tout son effort – non qu’elle ne soit plus ferme en cette adversité qu’elle ne fût –, mais c’est un gros corps qui ne peut supporter longtemps les incommodités d’un siège. Outre que sa perte accroîtrait grandement en argent & moyens nos ennemis, l’exemple serait périlleux. »
La Sorbonne décrétait que toute personne soutenant les prétentions du Béarnais, serait parjure & désobéissant envers la Sainte-Mère l’Église.
Le cardinal CAETANI, à peine arrivé à Paris, outrepassa ses instructions qui lui recommandait de garder ses distances vis-à-vis de la Ligue, présida en l’église Saint-Augustin, une cérémonie au cours de laquelle, les principaux chefs ligueurs prêtèrent serment sur les Évangiles, de ne considérer le cardinal de BOURBON comme seul souverain légitime & d’exclure à jamais son neveu.
Après, la bataille d’Ivry où l’armée royale fut malmenée, Henri IV mit à profit le temps de repos, pour tenter des ouvertures en direction de la Ligues.
Le 26 mars, le légat CAETANI rencontre le maréchal de BIRON & le 13 avril, se fut au tour de VILLEROY de rencontrer Henri IV à Melun ; mais sans succès, d’évidence, aucun terrain d’entente ne pouvait avoir lieu, sans la conversion du roi & même à ce prix, la paix était loin d’être assurée, car il fallait compter sur l’influence des Espagnols, qui n’avaient aucune confiance en MAYENNE, qui avait prouvé son incapacité à commander, mais aussi de ses ambitions politiques.
-Un nouveau siège
Henri IV assiégeant Paris, peinture à l’huile, auteur inconnu, xviie siècle, château de Pau.
Le roi a minutieusement préparé les opérations, étant donné la faiblesse de son armée & l’acharnement des ligueurs, il ne vit qu’un moyen de remporter Paris, la faim.
Il s’assura donc les différents carrefours stratégiques, occupants : Corbeil, Melun, Provins, Montereau, Lagny & Beaumont, il échoua devant Sens, défendu farouchement par Jacques de HARLAY. Il prit ensuite le contrôle des ponts, notamment ceux de Saint-Cloud, Poissy & Meulan.
Il avait aussi tiré les leçons de son échec précédent & coupa les routes du Nord & de l’Est, d’où pouvaient venir les troupes wallonnes & espagnoles, ainsi, les villages de Saint-Ouen, La Chapelle, Aubervilliers, Pantin, Le Bourget, Louvres & Gonesse étaient occupés par des garnisons.
Le 7 mai, il installa ses quartiers sur les collines de Montmartre & Montfaucon, sur laquelle il installa son artillerie.
Le 13, débordant d’optimisme, il écrivait à la comtesse de Gramont : « Je fis brûler tous leurs moulins, comme j’ai fait de tous les autres côtés. Leur nécessité est grande, & faut que dans douze jours, ils soient secourus ou ils se rendront. »
Ce plan rationnel, se heurtait pourtant, à l’endurance & au jusqu’auboutisme des Parisiens, galvanisés par les curés ligueurs & les capitaines des milices, l’on comptera trente mille victimes tout âge & sexe confondu.
MAYENNE, inquiet, confia la défense à son demi-frère & partit chercher du secours dans les Flandres ; Charles-Emmanuel de SAVOIE-NEMOURS, jeune homme de vingt-trois ans, réorganisa les milices & combla les brèches dans l’enceinte.
Les troubles avaient engendré un grand déplacement de population, les bourgeois étant partis à la campagne, tandis que les « rustiques » s’étaient installés dans les vergers environnants ; la ville avait perdu un tiers de sa population & tomba à deux cent vingt mille habitants, mais cela restait de nombreuses bouches à nourrir.
Procession de la Ligue sur la place de Grève, peinture, auteur inconnu, vers 1590, Musée Carnavalet.
Le 5 juin, afin de remonter le moral des ventres affamés, une grande procession fut organisée à travers la ville. Pendant ce temps, l’armée royale se renforçait de contingents de gentilshommes venant de la France entière. Henri IV lança un appel à la reddition, promettant à tous sa grâce & s’engageant à conserver la religion catholique si on lui ouvrait les barrières, en vain.
Le 24 juillet, en geste d’humanité, il autorisa femmes, enfants, filles & écoliers à franchir les lignes sans être inquiétés, plus de trois mille s’y résolurent.
Le 27, après un dernier appel au duc de Nemours, dont il salua la valeur & la générosité, il lança l’attaque générale, où il prit les faubourgs, mais ne réussit pas à ouvrir les portes de la ville.
À l’intérieur de la ville, la famine se faisait lourdement sentir, après les chevaux, mulets & autres animaux, les gens en étaient venus aux tripes, cuirs & bouts de chandelles. Un mouvement pacifiste commença à lézarder le front des ligueurs parisiens, particulièrement au sein de la magistrature, qui manifesta dans la cours du Palais, les Seize avaient réagi brutalement & fait pendre quelques meneurs.
Parmi les chefs de la Ligue, il s’en trouvait qui était prêts à entrer en discussion avec le « roi de Navarre », l’on envoya donc Pierre de GONDI & d’ÉPINAC, respectivement archevêque de Paris & de Lyon, feignant d’être vexé, le roi leur dit : « Arrêtez-vous là, si je ne suis que le roi de Navarre je n’aurais que faire de pacifier Paris & la France. » Puis il aborda le fond : « J’aurais tort de vous dire que je ne veuille point une paix générale. Je la veux, je la désire, afin de pouvoir élargir les limites de ce royaume, & des moyens que j’en tirerai de soulager mon peuple, au lieu de le perdre & de le ruiner. Que si pour avoir une bataille, je donnerai un doigt de ma main, pour la paix générale j’en donnerai deux. Mais ce que vous me demandez ne peut se faire. J’aime ma ville de Paris ; c’est ma fille aînée, j’en suis jaloux, je lui veux faire plus de bien, plus de grâce & plus de miséricorde qu’elle ne m’en demande, pourvu qu’elle m’en sache gré, & non point au duc de Mayenne ni au roi d’Espagne. »
Il avait bien compris que les envoyés n’étaient pas là pour négocier, mais pour faire gagner du temps, afin de permettre l’arrivée de l’armée du duc de Parme.
Les ligueurs, ravis de se débarrasser des bouches inutiles, poussèrent femmes, vieillards & enfants au-delà des remparts, des capitaines de l’armée royale, proposèrent de les repousser, mais le roi s’y refusa & fit au contraire distribuer du pain.
De Charybde en Scylla
Le 25 août, l’arrivée à Meaux des quinze mille hommes de FARNESE, renforcé par les troupes de MAYENNE allait entraîner la levée du siège, or, l’armée royale était épuisée par un manque d’hygiène & de vivre, ainsi qu’un état de fatigue.
Au Conseil du roi, les avis divergeaient, les uns voulaient marcher sur l’adversaire, quitte à lever le siège, les autres au contraire, d’attendre & de maintenir la pression sur Paris ; ce fut la première que le roi choisi.
Dans la nuit du 29 au 30, il regroupa ses vingt-cinq mille hommes, il marcha à la rencontre de FARNESE, mais celui-ci, fin tacticien, réputé pour son sang-froid & la justesse de son coup d’œil, joua au roi un tour, presque à sa barbe, alors que celui-ci lui envoya une trompette pour le convier à une bataille rangée, des pontons furent jetés sur la Marne & permirent de prendre Lagny.
Voulant riposter répliquer, il envoya un assaut sur le faubourg Saint-Antoine, nouvel échec.
Les gentilshommes prirent alors congés, laissant ce qui restait de l’armée & de son camp impuissant à la prise de Saint-Maur, Charenton & Corbeil.
Portrait du condottiere Alexandre Farnèse, duc de Parme gouverneur des Pays-Bas (1545-1592), peinture à l’huile, Otto van Veen, vers 1585, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Laissant ainsi, FARNESE repartir pour les Pays-Bas, tambour battant & sans une égratignure.
Le roi avait encore perdu devant Paris, il voulut pourtant essayer un coup d’audace & au matin du 20 janvier 1591, sergents & autres bas-officiers, déguisés en meuniers, conduisant des charrettes de sacs de farine, suivis de cinq cent hommes d’armes & deux cent arquebusiers, tentèrent de se faire ouvrir la porte Saint-Honoré. Ce stratagème fut un fiasco, vite démasqué, les assaillants furent accueillis par un feu nourri & durent se replier, ce jour entra dans l’Histoire sous le nom de « Journée des Farines ».
Et les nouvelles des provinces n’étaient pas meilleures ; Claude de LA CHATRE s’était saisi du Berry pour le compte de la Ligue ; Charles III de Lorraine lorgnait sur la Champagne ; LESDIGUIERES avait réussi à contenir pendant un temps Charles-Emmanuel de Savoie, mais à l’arrivée de renfort espagnol, il dut reculer & laisser les villes d’Aix, Marseille & Draguignan aux mains de l’ennemi. En Bretagne, une escadre de navires espagnols débarquèrent quatre mille hommes à Blavet pour appuyer le duc de Mercœur & voulant reprendre la ville de Lamballe, François de LA NOÜE fut mortellement blessé ; en Languedoc, le duc de Joyeuse a repoussé le duc de Montmorency & un peu partout, des pillards rançonnent marchands & voyageurs & des révoltes éclatent.
Et pour ne rien arranger, le pape Sixte Quint décède le 27 août, à la grande joie de l’Escurial. Le Conclave mit deux mois à lui trouver un successeur, qui prit le nom d’Urbain VII & régna treize jours ; le 5 décembre, fut élu Grégoire XIV, dont le règne de dix mois fut des plus néfaste pour le roi, sous l’influence de l’Espagne, il renouvela son excommunication & l’étendit par un bref à tous ceux qui le soutiendrait, pis, il subventionna la Sainte Union & chargea son neveu Emilio, duc de Monte-Marciano, de constituer un corps de mercenaire de dix mille hommes afin d’écraser ce roi relaps.
Le roi devant tant de déboire, dû rappeler aux affaires le chancelier Philippe HURAULT DE CHEVERNY & les têtes les plus solides de l’ancienne équipe d’Henri III, ainsi que d’admettre au Conseil, Louis de GONZAGUE qui l’avait rallié au siège de Paris avec cinq cents gentilshommes & d’envoyer Turenne chercher aide & subside auprès de l’Angleterre, du Brandebourg, de la Hesse, de la Saxe & du Wurtemberg.
Du côté ligueur, la confusion régnait aussi, le cardinal de BOURBON était mort d’une crise d’urémie le 9 mai 1590, sans être monté sur le trône & le seul souvenir qu’il laissa sont des pièces de monnaie pour la plus grande joie des numismates ; son neveu Charles II de BOURBON afficha aussitôt son ambition de devenir roi, mais les Seize penchaient davantage pour un roi ou une reine de la ligné des HABSBOURG, ce qui ne faisait pas les affaires de MAYENNE qui rêvait secrètement du trône.
Et dans Paris, la radicalisation montait, une liste de politiques sur papier rouge circulait, où à côté de chaque nom, une lettre : Pendu, Dagué & Chassé ; le président BRISSON & les conseillers TARDIF DU RU & LARCHER furent arrêtés & pendus, cette barbarie fit grand bruit & mis hors de lui le duc de Mayenne, qui fit procéder à quelques exécutions sommaires dans la Salle des Caryatides du Louvre, réforma la milice, mais n’osa s’attaquer aux vraies coupables, les curés boutefeux & les Seize, du moins ceux qui ne s’étaient pas enfuis.
La situation ne semblait guère reluisante au royaume de France, la route vers le trône semblait encore longue & semé d’embûches…
Sébastien 1er